Octobre en Corée, de retour à Gucheungam après 4 mois. J'ai sauté l'été, la chaleur et le glaces pour me retrouver au Japon à la place, mais j'avais promis de revenir par ici à l'automne; avec un peu de chance, je pensais arriver au moment où les feuilles commencent à tourner au rouge, où la température se fait plus clémente, instant de calme parfait avant de rattaquer la suite du voyage. Quelques semaines avant de repartir en Corée, on me recontacte en plus pour me confirmer que je suis attendu. Bon, j'y vais.
Il est maintenant début novembre, je pensais rester quelques jours, puis finalement deux semaines. Coup de bol, il y a un festival de musique méditative peu de temps après, je me laisse à étendre mon séjour à une petite vingtaine de jours. La maladie étant des fois plus forte que la raison, j'y rajouterais une semaine de plus pour un total de 3 semaines et demi au final.
Au départ de Seoul. J'ai fais le voyage la veille, depuis Busan où j'ai dormi dans un jjimjilbang sur la colline, au dessus de la plage Haeundae. Cet été, impossible de distinguer le sable sous la horde de touriste. Se, la mer calme comme un lac (décidément) laisse entrevoir un paysage rêveur dans le croissant de lune de sable. La Corée fourni des navettes gratuites entre Seoul et trois autres villes de Corée, dont Busan. Pratique, après réservation. Je passe la nuit à Seoul chez Félix, qui a dû rentrer précipitamment en France, l'occasion de discuter en mangeant un barbecue et boire du Makkôlli avec son copain Ole. Le lendemain, après un passage raté au consulat de Chine, j'attends pour prendre le bus pour Gurye. Envie d'un truc de gros, je tente le Burger King du terminal de bus, décevant. À coté de moi s'assoie une nana d'une soixantaine d'année, tête coréenne, et commence à discuter dans un anglais hésitant. En fait, elle est allemande d'origine coréenne et vient passer des vacances en Corée. Ses deux grandes soeurs s'assoient à coté, et me tendent quatre brochettes de ... bonne question, reconstitué de poissons ? C'est pas mauvais, mais après le burger et les brochettes, j'ai plus faim du tout cette fois.
Avant d'arriver à Gurye, le bus passe à travers la campagne Coréenne; au Japon, le riz était déjà bien coupé et les champs étaient déjà bien vide, mon hôte Bou-san faisait déjà parti des gens qui le récoltait tardivement. Ici, début octobre, la plupart des champs sont encore intacts, et la campagne alterne entre le vert luxurieux des forêts qui commencent à peine à être touchées par l'automne, et l'or ondulant des brins de riz sous le vent. Le paysage pendant ce retour début novembre est maintenant bien différent, et les contrastes ont fait la place au marron de l'automne le long de l'autoroute. On sent que certains champs sont déjà prêts à être labourés; certains (la plupart) des agriculteurs plantent du blé pendant l'hiver, le récolte au mois de mars/avril pour faire pousser du riz pendant l'été, et ainsi de suite.
À cette époque de l'année, Gucheungam est beaucoup plus calme qu'à ma première visite. Fini le printemps, fini le ramassage du thé, fini le travail sous la serre, le nez dans le tas de feuilles roulées au son de la radio coréenne et de Girl's Generation. La période de récolte passée, il est temps de consommer maintenant. On en n'est pas encore à l'orgie de thé, mais après la première tasse, retrouver le parfum et le goût de ce thé que je pourrais reconnaître parmi une centaine dorénavant (enfin je crois). Les japonais ont aussi une espèce de thé vert, complètement différent : une espèce de poudre verte, mélangée avec de l'eau et battue traditionnellement avec un joli fouet, aux "poils" très fin, découpé et taillé dans une morceau de bambou. Le goût et le parfum sont complètement différents, beaucoup plus fort et on sent aussi le poids de la poudre dans la bouche. Ici, la conception même du liquide est différente, et c'est un mélange bien plus subtil. On se surprend à certains moments de tourner sa tasse blanche à la recherche du thé à l'intérieur, presque aussi transparent que l'eau, mais au parfum léger et qui se laisse boire par dizaine de tasses.
Pour autant, il reste quand même quelques trucs à faire. Les plants de thé au-dessus du temple sont maintenant envahi par les ronces, le lierre, les mauvaises et les bambous, tout ce beau a l'air de s'y plaire gaiement là haut. Ma tâche est simple et digne d'un John Rambo aux pouces verts : faire le ménage dans tout ce bazar. Armé de ma serpe, de mes manches amovibles bleues et de mon tenugui japonais "Fraternité" (histoire de faire jaser un peu les coréens), ça tranche sec. En me montrant le travail à faire, Sunim me sort son smart phone branché sur Google Translate et me tape un premier mot : "Seul". OK, bon, au moins je pourrais m'organiser tranquillement. Il me tape un nouveau mot : "Lentement", en rajoutant verbalement "Shlow, shlow". Pas de problème, je devrais savoir faire.
Étant juste au dessus des bâtiments, j'ai une super vue sur les toits des maisons, et rien devant moi pour me gêner la vue sur la montagne et son pic si caractéristique. Les couleurs changent tout autour, le vert est encore bien présent mais on sent par ci par là quelques changements de tons et des tâches colorées ponctuent la forêt tout autour de moi. Au sommet de la montagne, les couleurs commencent à lentement dégouliner vers nous, et jour après jour, les zones colorées prennent de l'ampleur. En face de moi, juste de l'autre coté des bâtiments, un grand arbre déjà complètement déplumé porte toujours vaillamment ses fruits oranges, et je comprends enfin ce que sont ses "sweets persimons" dont on me parlait depuis mon arrivé en mai : des kakis. C'est l'époque où ils commencent à être mure, et les étals en sont recouverts. Mettant un point d'honneur à appliquer les consignes de Sunim, j'embarque un bouquin avec moi pour aller travailler, ou je passe mes pauses allongé dans l'herbe à regarder les nuages défilés dans le ciel. Les matins sont glaciales mi-octobre, les nuits complètement découvertes, mais l'air dans la journée est d'une remarquable limpidité et tout de détache avec une parfaite netteté sur le ciel bleu.
Le petit-déjeuner est à 6h le matin. Je dors dans le bâtiment à coté de la cuisine et de la salle à manger, l'endroit où tout le monde passe pour aller manger. Dans ma chambre, deux portes dont une est condamnée; typique du style coréen et similaire à ce qu'on trouve au Japon, sur un quadrillage en bois, on colle une feuille de papier de riz, et hop, ça fait une porte. Pour la bonne mesure, le haut de la porte, sur une quarantaine, le papier de riz isolait trop, et il est remplacé par un grillage très fin. Inutile de dire que l'isolation thermique et phonique laisse rêveur. J'ai aussi une montre, réglée comme il se doit à 6h06. Malgré tout, ça empêche mon voisin de chambre de me réveiller tout les matins, d'un doux et agréable tambourinage de porte pour aller prendre le petit-déjeuner. Rien de tel qu'un bon réveil pour commencer la journée. Au menu, Sun-nyoung, un porridge de riz préparé avec le riz qui a grillé au fond de l'autocuiseur la veille (Nulungji), omniprésent kimchi, radis fermentés, et les jours de fêtes, graines de soja "à la grecque" (comme les olives). Ça réveil et ça remplit l'estomac. Des fois, la cuisinière passe au mixeur des pignons de pins qu'on a ramassé dans les pommes de pins des quelques pins environnants, et mélange le tout avec le Sun-nyoung, qui se transforme alors en porridge épais, limite crémeux, avec ce goût si délicieux des pignons. Après s'être bien réveillé, j'en profite pour retourner me coucher, tant bien que mal.
Une dizaine de jours après mon arrivé, la ville de Gurye organise un festival, non pas en mon honneur, mais sur la musique traditionnel coréenne. Le comté de Gurye est en effet connu pour ses chanteurs célèbres de pansori. Là, on touche sérieusement du traditionnel coréen, qu'on pourrait appeler "traditionnal hard-core korean music" : le pansori est un duo, un chanteur/conteur accompagné de son fidèle ami le joueur de tambour. Armé de sa seule arme, un éventail, dont l'usage aussi rare que marquant, se cantonne, avec quelle efficacité, à accentuer les propos du conteur, celui-ci raconte son histoire sur un rythme très régulier, mais d'une voix absolument remarquable, puissante, sortie du fin fond de la gorge, cordes vocales aux maximums de leurs puissances. On dit qu'un bon chanteur de pansori doit être capable de couvrir le bruit d'une cascade, et certains, dit-on, se retrouvent à cracher du sang pendant l'entraînement en déformant trop leurs cordes vocales. Assez austère de prime abord, surtout quand on ne pige pas un mot de coréen, encore moins d'ancien coréen, on en vient malgré tout rapidement à apprécier la performance et le charisme de ces chanteurs. Le joueur de tambour joue aussi un rôle important, en accentuant aussi chacun des propos, mais en encourageant vocalement le chanteur, qui doit tenir, pour un pansori complet, dans les cinq ou six heures de chants... Le samedi soir, un joueur de piano jazz coréen, semble t'il très connu pour sa capacité à improviser, viendra, accompagner une fois d'un joueur de guitare traditionnelle coréenne, un autre de flûtes traditionnelles, puis finalement de chanteurs de pansori qui avaient représenté dans l'après-midi pour un medley pansoris/piano. Ce week-end a aussi vu débarqué les gars avec qui j'avais fais du thé au printemps, tout droit venu de Suncheon et Tong-Yang pour passer la soirée ensemble. Cheveux colorés, une fille a fait aussi son apparition dans le lot (la cousine), connaissant les deux zigotos, la soirée se devait d'être largement célébrée jusqu'à 4h du matin, où ça faisait déjà une bonne heure que je m'étais endormi mon verre de bière à la main au bar.
http://www.youtube.com/watch?v=MJ_pBu9Ovok http://www.youtube.com/watch?v=tz6zqo-yC_E http://www.youtube.com/watch?v=PJTWhTnAFSk
Je suis bon élève, mais on ne m'avait pas tout raconté. Quand je me suis réveillé un jeudi avec des ganglions à l'aine, je me suis posé quelques questions. J'aurais dû partir pour Seoul à ce moment là, mais le festival de musique méditative, dont on m'avait dit tant de bien avait lieu deux jours après, donc je suis resté. En plus, on m'a parlé d'une batterie arrivé chez quelqu'un qui a besoin de quelques conseils, et que ça serait bien que je passe un soir, on boira des bières et on fera de la batterie, tout ça. Après trois jours d'antibiotiques pour dégager tout ça et au lendemain de la soirée batterie/bières, je me réveille avec la tête dans un étau, des courbatures de partout, et décidément, ça va pas fort. Conscient de la faible quantité d'alcool ingurgité la veille, c'est forcément autre chose, et de retour au temple, mes 39.4°C de température confirment qu'il y a un truc qui cloche. À l'hôpital, cette fois, le diagnostic est plus clair : tsutsu gamushi m'a tuer. Enfin, presque, c'est que le début, après sept jours d'hospitalisation, je devrais péter le feu à nouveau. Après quatre jours et mes quatre shoots de trois injections par jour plus les pilules et l'espèce de sirop vert qui donne pas envie de boire à chaque repas, ma fièvre a disparu, et je peux ressortir. Si on m'avait dit qu'il fallait éviter de se poser dans l'herbe en Corée pendant le printemps et l'automne sous peine de se faire piquer par les puces qui trimballent ce truc, et que c'est spécialement courant dans la campagne et dans la région de Gurye, j'aurais peut-être organisé mes pauses différemment... Les gens du temple, confondus d'excuse pour m'avoir fait causer ça (...), n'auront cesse d'essayer de se faire pardonner...
Maintenant sur la route de Seoul. Il a plu toute la journée, Sunim a encore trouvé le moyen de s'éclipser avant que je partes, comme pour ne pas me dire au revoir. Bosalim (laquelle, ah!) avait presque les larmes aux yeux de me voir repartir.
J'ai promis que je reviendrais un jour, j'ai le temps d'apprendre le Coréen d'ici là.